Detail du livre : GENS ET PAYS D’EN HAUT
Epuisé Paru en 2004

GENS ET PAYS D’EN HAUT
Promenade sur le plateau entre Ardèche et Haute-Loire

128 pages - 70 illustrations - Format : 240x240 - 26.00 €

Quatre auteurs : Hélène Cheynel - Sophie Betbeder - Michel Robert - Christian Giroux.
Deux photographes : André Bergeron - Jean-Marc Demars.
 
Couverture du livre : GENS ET PAYS D’EN HAUT

     La promenade à laquelle vous invitent ces textes et ces images exprime à sa manière, libre et insolite, la constante harmonie de ces gens et de ces lieux. Défrichant votre propre chemin au gré de vos rêveries, vous franchirez le seuil de ces maisons du plateau, sans passéisme, avec tendresse et respect, et vous entendrez battre le cœur du pays.
     A travers ces pages vagabondes, vous goûterez à cette liberté paisible et indomptable, que ces gens et ce pays d’en haut ont toujours su représenter.
N°ISBN : 9782911584183
L'édition luxe n'est plus disponible

-EXTRAIT-
 

     
     
     
     
     Solitudes
     On ne circule peut-être pas assez facilement. Le mouchoir de poche de mon hameau est un infini de travail. Tant à faire, tant de fardeaux à porter, de mottes de terre à retourner, à sarcler, tant de gestes quotidiens pour happer les journées de ma jeunesse.
     Je n’ai pas rencontré celle qui aurait pu poser sa main sobre et tendre sur mon dos maintenant cassé par les ans ; celle qui m’aurait dit de ne pas trop boire au café du coin ou caché dans mon appentis, celle qui aurait si souvent allumé le feu à ma place, dans ma maison froide quand je rentre.
     Je suis vieux garçon.
     J’ai des frères d’infortune, si nombreux, dans les replis de ces vallées et de ces coteaux comme jaloux, qui nous ont gardés prisonniers, pour être seuls à absorber notre substance vitale. La terre n’est pas que notre mère, c’est notre épouse, qui se refuse toujours ou ne se donne qu’à force d’efforts acharnés pour la conquérir, l’assouplir. Possessive, elle ne nous a pas laissés pour les belles qui hantaient nos rêves d’adolescents.
     Cette terre austère qui nous cache, qui nous sépare les uns des autres, (seuls des cols et leurs carrefours de passage, des bourgades et leurs fêtes et leurs foires pouvaient nous réunir) a laissé sur nous et en nous, son empreinte à la fois farouche et douce, si reconnaissable. Nous sommes réservés, d’une timidité qui montre à la fois tant de grâce et d’étrangeté à plus de soixante ans, effarouchés comme des animaux sauvages, prompts à rentrer dans la maison qui nous a vus vieillir tout seul. Nos sourires sont emprunts de cette pudeur silencieuse qui en dit long.
     Nos regards ont cette lueur de tristesse qui leur donne tant de douceur, de délicatesse et de mystère. A quel moment avons-nous compris que nous resterions seuls ? Que la majesté de ces paysages gardait cruellement ses trésors humains, ne nous livrant pas les uns aux autres, peut-être pourtant si proches à vol d’oiseau ?
     Parfois, nous sommes plusieurs vieux garçons et vieilles filles dans le même petit hameau de six ou sept maisons. Quelle ironie, ce n’est pas la bonne combinaison, et nous mourrons chacun isolé côte à côte dans la candeur ternie d’un lit qui n’aura jamais tangué de bonheur.
     Si cette exultation nous a été refusée par le destin géographique, quelle transmutation a donné ce sacrifice d’une dimension de nos vies ? Vieilles filles, vieux garçons, nous ne sommes pas des fantômes sans visage, des vies mutilées, la branche sèche du figuier stérile.
     Dans le creuset de nos solitudes, vous les nantis de l’affection qui saurez combien illusoires et précaires sont vos amours.
     Venez trouver l’or pur d’une vérité tamisée par la cruauté du pays; dans nos âmes de moines et de nonnes malgré nous, venez voir comme en des miroirs le reflet de votre propre dénuement, votre essentielle et inaltérable solitude.

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