Detail du livre : BERTILLE MA GRAND-MERE - TOME III DE LA TRILOGIE
Paru en 2011

BERTILLE MA GRAND-MERE - TOME III DE LA TRILOGIE
SUITE DE CROQUE-VIE ET DE CASIMIR L'ARDECHOIS

GUY DURRENMATT

128 pages - 32 illustrations - Format : 165 x 240 - 20.30 €
APRES CROQUE-VIE ET CASIMIR L
 
Couverture du livre : BERTILLE MA GRAND-MERE - TOME III DE LA TRILOGIE
Après Casimir l’Ardéchois et Croque-vie, deux chroniques qui redonnaient vie à d’anciennes figures familiales hautes en couleurs, Guy Dürrenmatt prolonge avec ce troisième volet, l’histoire de sa famille et rend un hommage appuyé à ceux qui l’ont entouré d’une belle affection.
Dans ce troisième tome, intitulé Bertille, du nom de sa grand-mère épicière, qui reste dans sa mémoire une figure d’exception par ses engagements et ses valeurs, l’auteur puise dans ses souvenirs d’enfance, et se plaît à évoquer tour à tour avec malice et tendresse, les réjouissances d’une bande de gosses : Boye, batin, potu, pachos… et leurs tours pendables.
Au fils des pages, on les rencontrera, à l’école qui alors n’est pas mixte, mais aussi surpris par le garde-Champêtre à braconner, ou vivant leurs premiers émois amoureux…
Ainsi, c’est à travers ses yeux d’enfant, souvent malicieux, et rarement objectifs, - qu’à cela ne tienne, le lecteur connaît la fougue réjouissante de Dürrenmatt - que l’auteur nous dépeint en toile de fond les luttes politiques et les parti-pris religieux, dont on saisira toute l’intensité d’alors, et nous fait découvrir au lendemain de la première guerre, la saveur de toute une époque…
N°ISBN : 9782911584350
Disponible en luxe : 57.20 €

-EXTRAIT-
 
     Le lendemain, lors de mon arrivée à l’école, Batin est déjà là. Cela m’a étonné car généralement, il arrivait en retard. Lorsqu’il annonce aux membres de notre troupe que l’on allait bien rire, en refusant de nous donner d’autres précisions, j’ai eu le pressentiment que la matinée ne serait pas triste. Respectant la discipline en vigueur à l’arrivée de notre freluquet d’instituteur, nous étions tous debout sur le côté de nos petits bureaux de bois, avec nos blouses noires délavées, nos brailles trop grandes et nos cheveux ébouriffés.
     Tout semble alors normal dans la classe. Seul Batin se balance, comme un ours dans son coin, avec sur sa bonne bouille les grimaces d’un gros bambin pris d’une violente envie de faire pipi. Le maître quitte sa veste et la suspend au portemanteau, après avoir décroché sa blouse blanche. Il enfile une manche de cette blouse, puis l’autre, lisse un pli sur un de ses revers, en nous toisant d’un air hautain du haut de son mètre soixante. A cet instant Batin, dont les grimaces deviennent inquiétantes et les balancements de plus en plus saccadés et violents, tousse bruyamment en écrasant dans ses mains un rire tonitruant, tandis que le chef boutonnait avec soin sa blouse trop blanche et si bien repassée. A part les rires étouffés de Batin, dans la salle tout est calme. Silence et sérénité.
     C’est alors que le Napoléon du savoir, d’un geste naturel, met sa main dans la poche de sa blouse. Il devient raide comme un manche à balai, ce qui lui fait gagner plusieurs centimètres en hauteur, son visage sanguin devient gris clair, puis gris sombre pour finir vert. Sa bouche déjà ouverte s’agrandit encore ; des hurlements se bousculent dans le fond de sa gorge rose et créent un tel embouteillage qu’ils n’arrivent pas à en sortir.
     C’est encore Batin qui en gueulant un énorme « Non de Dieu !! » dont les syllabes s’envolent en un formidable rire, qui déclenche les cuivres, comme l’aurait dit le bien « bravounet » chef de la fanfare municipale. Peu souvent dans ma vie déjà longue, j’ai pu ouïr autant de rires à la fois. Des gras, des maigres, des dolents, des violents, des trop faibles, des trop forts et d’autres de toutes les couleurs. Ces instants rares où tout notre corps rit, du petit orteil, au sommet de la tête, ou tout bouge, vibre, tremble, se contorsionne, se tord, se plie et s’envole dans des ha… ha… ha… !! ou des hi… hi… hi… !!, accompagnés de diverses grimaces, sont des purs moments de bonheur. Dans de tels instants de joie, les goutteux oublient leurs douleurs, les grincheux, leurs rates et les fielleux, leurs foies. C’est le paradis !! Et vous vous retrouvez tout neuf et tout nu, comme Adam au premier jour du monde !! Le maître, lui, les yeux exorbités, la tête renversée, la bouche ouverte, les yeux au ciel, paralysé par la peur, serrait dans sa main crispée la pauvre couleuvre qui faisait force contorsions pour retrouver sa liberté. C’est un « faux-cul » du premier rang, qui arrache de la main du martyr, le pauvre serpent qui commence à manquer d’air et qui se voit jeté vivement dans la cour par la fenêtre ouverte.
     Ces « faux-culs » sont comme les gendarmes, toujours par deux, le second se précipite dans la cour en gueulant « Au secours… !! » Le directeur arrive en courant, suivi à dix de ses subordonnés. C’est lui, le héros de 14-18 qui reçoit dans ses bras courts mais solides, le jeune maître en pamoison. Il lui administre quelques baffes et bien vite les couleurs des joues du malade font le chemin inverse, vert, gris sombre, gris clair, blanc, sans néanmoins retrouver le rose, réservé pour plus tard.
     Chancelant, accroché à l’épaule de son chef, l’instruit quitte la salle de classe. Il lui faut trois jours pour remettre en état pantalon et caleçon qui ont connu le désastre, des litres de tisanes pour voir le rose reprendre possession de ses joues, alors qu’avec deux verres de Clinton de mon grand-père quelques minutes auraient suffi. Durant deux jours, nous avons vainement cherché dans la cour de l’école, le pauvre serpent d’eau, victime lui aussi de la vengeance de Batin.

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