En ce début de XXe siècle, Augustine du haut de ses quinze ans rayonne de fraîcheur et d’énergie. Elle appartient à une famille d’industriels catholiques aux affaires prospères, installée dans une localité en plein essor grâce aux Chemins de Fer Départementaux. Elle mène une vie confortable mais n’a pas pour ambition de suivre la destinée des filles de son milieu.
Âgé de 20 ans, Jean Vaucanson pour sa part est protestant. Fils de mineur, jeune diplômé de l’École des Mines, il travaille pour la compagnie des Chemins de Fer Départementaux.
C’est dans des circonstances peu romanesques qu’ils se rencontrent pour la première fois. Bientôt, ils se reverront en cachette et naîtra alors une idylle.
Mais, en ce temps-là, elle, catholique ; lui, protestant …les difficultés ne manqueront pas de survenir.
En effet, l’antagonisme religieux domine une part importante de la vie sociale et économique de ce terroir qui s’étend entre Ardèche et Haute-Loire, comme le fait revivre avec justesse ce roman qui mêle fiction et réalité. Ainsi, au gré des étapes mouvementées d’une passion que tout vient contrarier, le lecteur saisira l’âme d’une époque, et tout le poids des rivalités qui opposent alors les deux confessions.

Disponible en luxe : 57.20 €

     Ce jour-là, Jean Vaucanson devait monter à Tence : depuis l’ouverture de la ligne de Saint-Agrève à Dunières sur Loire, l’année précédente, Tence était devenu la principale gare du réseau. Les voyageurs accouraient: ils avaient enfin un moyen sûr et relativement rapide de se rendre à Saint-Etienne ou à Lyon, capitales économiques de la région, où chacun avait de la famille ou des relations d’affaires. Les bestiaux abondaient les jours de marché ou de foire. Les fruits de la vallée de l’Eyrieux, cueillis de la veille, étaient déchargés pour être distribués dans tout le Velay. Surtout, il y avait le bois : il était devenu rapidement la marchandise principale. Les arbres étaient abattus dans les forêts proches, et devenaient dans les scieries du plateau, jadis actionnées par la force des eaux mais de plus en plus animées par l’électricité, des bois de charpente, des planches de caisses, des poteaux de mines; le chemin de fer lui-même consommait du bois pour ses traverses et ses poteaux électriques ou téléphoniques. Enfin, il y avait des troncs de châtaignier pour les extraits tannants, et d’autres grumes qui devaient servir à la fabrication de fibres d’emballage ou de pâte à papier.
     Les gares devaient s’organiser pour ce trafic, dont personne n’avait prévu l’importance. Il avait souvent fallu agrandir les cours de gare, pour permettre aux charrettes chargées de troncs gigantesques d’y pénétrer et d’y maneuvrer; il avait fallu concevoir très vite des wagons spéciaux, à fond plat, pourvus de deux essieux mais non de ridelles antérieures ou postérieures; il avait fallu enfin prévoir des quais spéciaux pour charger et décharger les billes à à peine équarries, les planches ou les poutres. Précisément, le Conseil Municipal de Tence demandait la construction d’un de ces quais spéciaux. La demande était justifiée par le volume du trafic; encore fallait-il aller voir sur place à quel endroit la plate-forme pourrait être installée, et surtout sonder les élus municipaux sur leur possible participation financière. Valayer, peu soucieux de risquer son autorité dans cette délicate affaire, avait chargé son adjoint d’aller rencontrer le maire Léon Rocher et son conseil. Dentellier de son état, Rocher connaissait chaque ferme et chaque chemin du pays de Tence. Il connaissait surtout la valeur de chaque centime, et ne dépensait pas l’argent de la commune plus facilement que le sien propre.
     "Un jour sans voir Augustine, se dit le jeune ingénieur. Cela va être long". Leurs rencontres étaient devenues régulières...