Detail du livre : LA FABRIQUE D'UN HAUT LIEU
Nouveauté Paru en 2024

LA FABRIQUE D'UN HAUT LIEU
LE CHAMBON-SUR-LIGNON ET LE PLATEAU XIX - XXI SIÉCLE

PATRICK CABANEL

256 pages - 10 illustrations - Format : 200X260 - 25.00 €
PARUTION MAI 2024
 
Couverture du livre : LA FABRIQUE D'UN HAUT LIEU
Ce livre s’efforce de résoudre une énigme géographique, historique et culturelle.
Pourquoi et comment le Chambon-sur-Lignon et le Plateau, ont-ils changé radicalement de nature et de notoriété, en moins d’un siècle ?
Situé aux confins de deux départements de montagne, le Plateau était et reste, marqué par une forte spécificité religieuse protestante. Il a connu trois révolutions successives : il est devenu une station climatique et médicale, avec l’accueil des enfants des milieux ouvriers urbains ; puis, au Chambon même, une cité touristique et bourgeoise à la mode ; enfin dans les années 1940, un lieu de refuge pour les juifs et des étrangers de toutes nationalités.
Le livre explore ces strates, y compris dans leurs mémoires, qui ont transformé un arrière-pays en un haut lieu de réputation mondiale.
N°ISBN : 9782911584879
L'édition luxe n'est plus disponible

-EXTRAIT-
 
Dans un premier temps, le Plateau, cette enclave protestante unique en Haute-Loire, et limitrophe de l’Ardèche plus fortement protestante, a été considéré comme un conservatoire religieux et un lieu de mémoire de la geste douloureuse des huguenots (XVIe-XVIIIe siècle).
Mais alors même qu’il possédait quelques grandes figures de la résistance spirituelle, et surtout le prédicant martyr Désubas, arrêté entre Le Chambon et Saint-Agrève et exécuté à Montpellier, le Plateau n’a pu (ou voulu) devenir la terre par excellence du « Désert » huguenot : la place était prise, et avec quel éclat, par les Cévennes (Gard et Lozère). Une spécificité a pourtant retenu l’attention, jusqu’à nos jours : la diversité et la puissance des « Réveils » religieux, avec surtout l’implantation d’une très forte minorité darbyste. Il y a là un isolat spirituel et culturel un peu énigmatique, qu’ont scruté pasteurs et administrateurs (le célèbre baron Haussmann).
L’essentiel est advenu un peu par hasard, au début des années 1890, lorsqu’un pasteur de Saint-Etienne, Louis Comte, que préoccupait la mauvaise santé de son fils, s’est vu conseiller de lui faire effectuer un séjour à la montagne. Les Comte arrivent à Montfaucon, vérifient la qualité curative du bon air, Comte décide d’élargir le privilège d’un tel séjour à ceux qui n’en avaient pas les moyens, les enfants des milieux ouvriers stéphanois. Il fonde l’Œuvre des enfants à la montagne, dont on peut dire qu’elle est l’instrument qui a changé le destin du Plateau et du Chambon, et sans laquelle les épisodes suivants n’auraient probablement pas eu lieu. L’Œuvre envoie des milliers d’enfants, été après été, dans quelques centaines de familles qui s’habituent à accueillir des enfants issus d’un tout autre univers social et culturel. Le pays s’ouvre et s’enrichit, l’habitat s’améliore, quelques maisons collectives sont aménagées (jeunes filles, jeunes mères, malades), qui préparent l’ère des maisons d’enfants. Le tourisme commence à suivre les enfants placés par l’Œuvre, d’autant que routes nationales et voie ferrée (le CFD) désenclavent le Plateau, plus exactement l’axe Tence-Le Chambon-Saint-Agrève (Le Mazet et Fay, centres jusque-là importants, sont restés à l’écart du rail). C’est le troisième temps remarquable : dès avant 1914 et surtout dans l’entre-deux-guerres, le tourisme s’empare du Plateau, ou le Plateau du tourisme. Les hôtels et les pensions de famille se multiplient, les paysans inventent le concept du gîte rural dans les « carrés d’habitation », la population explose durant les deux à trois mois d’été. Le Chambon, déjà centre de l’Œuvre des enfants à la montagne, choisit de devenir officiellement un centre de tourisme, avec les revenus (taxe de séjour) et réalisations (adduction d’eau, urbanisme, villas…) associés à ce nouveau destin. C’est le temps d’une station quasi mondaine, avec tournois de tennis, clientèle de haute bourgeoisie protestante, création d’un collège privé destiné à ses enfants (le futur Collège cévenol), hôtes remarquables, tels un Francis Ponge, un Albert Camus. Le village devient une petite ville, avec une forte croissance et un choix élargi de commerces et de métiers, et se distingue de plus en plus du Plateau avoisinant, même de Saint-Agrève et Tence qui tirent pourtant leur épingle du jeu.
Lorsque la guerre éclate, suivie de la défaite (1939-1940), un certain nombre de villégiateurs ou de leurs enfants décident de rester sur place, une fois l’automne venu. C’est le début de la phase du refuge au sens large, et qu’avait ouverte dans un sens plus précis l’arrivée de quelques dizaines d’Espagnols chassés par la défaite de la République. Ce sont bientôt les juifs, français et étrangers, qui affluent au Chambon et sur le Plateau. Ils le font selon deux modèles bien différents : sur le Plateau, bourgs et hameaux compris, c’est un modèle « cévenol », de dissémination dans un tissu géographique et socio-culturel très majoritairement favorable à l’accueil puis à la clandestinité. Les leaders de cet accueil sont, ici comme ailleurs, les pasteurs, la plupart jeunes, certains de nationalité suisse. Au Chambon même, une autre histoire s’écrit : celle d’un site déjà truffé d’hôtels, de pensions et de maisons d’enfants, et petite capitale scolaire, avec le Cours complémentaire de Darcissac et l’Ecole nouvelle cévenole du pasteur Theis ; un site que choisissent une série d’organisations caritatives tout à fait étrangères au milieu, le Secours suisse aux enfants, le Fonds européen de secours aux étudiants, la Cimade, voire l’Armée du Salut (implantée de longue date, elle), les Quakers. Les liens du Chambon avec Genève et les grandes organisations protestantes internationales (YMCA, Conseil œcuménique des Eglises), incarnées par le pasteur et maire Charles Guillon, expliquent aussi ce destin de « cité de refuge », sans équivalent sur le Plateau, ni en France, ni en Europe. La seconde moitié du XXe siècle et les débuts du XXIe voient le destin touristique et scolaire du Chambon se poursuivre, tandis que les questions de mémoire surgissent et s’épanouissent à partir des années 1970, achevant d’offrir au Plateau et au bourg devenu, objectivement, sa capitale au moins mémorielle, une notoriété sans précédent et sans égale.

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